La Loi n°2022-17 relative au contenu local dans le secteur minier
Auteurs: Julien BAUBIGEAT, Avocat au Barreau de Paris, Inès ABDESSELEM, Avocat au Barreau de Paris et Kadiatou TOURE, Juriste stagiaire
En 2021, Le Bureau Opérationnel de Suivi du Plan Sénégal Émergent (BOS), accompagné par la Banque Africaine de Développement (BAD) ont engagé le processus de concrétisation de l’ambitieux projet « Hub minier régional ».
Par ce projet, le Sénégal affiche son souhait de devenir le centre de référence des services miniers en Afrique de l’Ouest.
Pour ce faire, la mise en place d’un écosystème favorable pour tous les acteurs est essentielle. Cela implique pour l’Etat sénégalais d’avoir une législation minière claire et garantissant la sécurité.
L’Etat sénégalais a adopté le 24 novembre 2003 la loi n°2003-36 portant Code minier modifiée par la loi n°2016- 32 du 8 novembre 2016 [1].
Depuis cette réforme, le contenu local (en anglais: local content) a été pensé puis érigé comme l’un des points phares du cadre juridique relatif au secteur minier au Sénégal.
Cependant, la mise en œuvre des dispositions relatives au contenu local a été entravée par de nombreux obstacles dont notamment le manque de transparence dans certains contrats miniers. [2]
Ainsi, le 23 mai 2022 le législateur sénégalais a adopté la loi n°2022-17 relative au contenu local dans le secteur minier (ci-après la « Loi de 2022 ») ayant vocation à perfectionner le contenu local dans le secteur minier au Sénégal.
Quel est l’intérêt de légiférer sur le local content dans le secteur minier ?
Lorsque les entreprises transnationales et notamment celles du domaine extractif mènent des activités économiques dans des pays en développement tels que certains Etats africains ; l’absence d’entreprises locales dans la chaîne d’approvisionnement voire l’inexistence de bienfaits procurés aux populations locales est souvent déplorée. Ces critiques sont renforcées par le fait que dans de nombreux ordres juridiques africains, la gestion des ressources naturelles au profit du peuple a une valeur constitutionnelle. C’est d’ailleurs le cas au Sénégal où l’article 25-1 de la Constitution dispose que « les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l'amélioration de ses conditions de vie ». C’est face à ce type de situations et sous l’impulsion de nombreuses organisations régionales [3] que le recours au contenu local s’impose comme un correctif.
En effet, le contenu local a pour objectif de garantir aux populations et entreprises locales une partie des gains obtenus de l’exploitation minière par les investisseurs et par l’Etat et ainsi permettre le développement économique du pays.
Quelle est la définition du local content dans le secteur minier ?
A l’instar de la loi de février 2019 [4] relative au contenu local dans le secteur des hydrocarbures, la Loi de 2022 propose une définition du contenu local dans le secteur minier qui, bien que sectorielle, le définit de manière large.
En son article 3, elle indique, en effet, que dans le secteur minier, le local content renvoie à l’ensemble des mécanismes qui permet, à partir de toute la chaîne de valeur de l’industrie minière, non seulement le recours aux compétences nationales mais également le développement du tissu industriel et commercial local.
Quel est le champ d’application de la Loi de 2022 ?
Conformément à son article 2, la Loi de 2022 s’applique à tout contractant, sous-traitant (personne physique ou morale), prestataire de services et fournisseur participant aux activités minières liées de façon directe ou indirecte à la prospection, à la recherche et à l’exploitation des ressources minières, au transport, au stockage, ou à la valorisation et la distribution des produits miniers au Sénégal.
A ce titre, il convient notamment de préciser que le Code Minier définit en son article 1 :
- Les produits miniers comme les produits issus des mines ; et
- Les mines comme les gîtes de substances minérales ou fossiles qui ne sont pas classés comme étant des carrières.
Comment le recours au local content se caractérise-t-il dans la Loi de 2022 ?
L’article 4 de la Loi de 2022 prévoit que l’objectif poursuivi par le développement du contenu local dans le secteur minier est notamment d’accroître les emplois locaux ou encore d’inclure des opérateurs locaux dans la chaîne d’approvisionnement des sociétés minières.
A l’instar de la Loi Contenu Local dans les Hydrocarbures, le recours au contenu local s’étend aux domaines de l’approvisionnement de biens et services, de l’emploi, ou encore de la formation de la main d’œuvre.
A titre d’illustration, il est prévu à l’article 6 du Décret N°2023-979 (tel que défini ci-dessous), que tout investisseur désirant intervenir comme sous-traitant, prestataire de services ou fournisseur de biens, devra (i) créer une entreprise de droit sénégalais immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit mobilier et (ii) procéder à la déclaration des bénéficiaires effectifs [5].
Il est à noter que les dispositions de la Loi de 2022 relatives au recours au contenu local sont bien plus approfondies que celles du Règlement n°18/2003/CM/UEMOA du 22 décembre 2003 portant adoption du Code minier communautaire de l’UEMOA.
En effet, ce règlement qui fait partie de la législation minière, recommande certes aux titulaires de titres miniers la préférence nationale en indiquant, par exemple, qu’en cas de recrutement, une préférence devait être accordée, à qualifications égales, aux membres de l’UEMOA [6]. Mais, dans le même temps, ce règlement accorde aussi aux Etats-membres une grande liberté de choix concernant leurs fournisseurs, partenaires ou sous-traitants [7].
Enfin, le local content se démarque également dans la Loi de 2022 par l’obligation pour les titulaires de titres miniers de participer à l’alimentation d’un Fonds d’appui au développement local qui est destiné à contribuer au développement économique et social des collectivités locales situées dans les zones d’intervention minières [8].
Quels sont les apports de la Loi de 2022 par rapport au Code Minier ?
Dans le cadre du Code Minier, le local content n’est évoqué qu’au sein de l’article 115 qui prévoit que les titulaires de titres miniers doivent participer au développement local, notamment par le biais d’engagements financiers à destination du Fonds d’appui au développement local.
La création de ce fonds fait suite à la Directive C/DIR 3/05/09 du 27 mai 2009 de la CEDEAO portant sur l’harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier. En effet, le Code Minier inclut cette directive dans la législation minière. Or, celle-ci imposait aux Etats-membres de la CEDEAO de créer un fonds de développement socioéconomique auquel les titulaires de droit et titre miniers et autres parties prenantes ont l’obligation de contribuer [9].
Il faut noter que malgré l’existence de cet article 115 dans le Code Minier, le Fonds d’appui au développement local n’a été créé qu’en 2019, à l’occasion de la Loi Contenu Local dans les Hydrocarbures. Il a ensuite été élargi au secteur minier par l’article 8 de la Loi de 2022.
En outre, par son article 9, la Loi de 2022 abroge deux dispositions du Code Minier, les articles 85 et 109, afin de ne pas entrer en contrariété avec la mise en œuvre du contenu local dans le secteur minier.
En effet, l’article 85 du Code Minier prévoyait que les titulaires des titres miniers disposaient d’un libre choix concernant les partenaires, fournisseurs et sous-traitants. Ensuite, l’article 109 du Code Minier qui prévoyait les obligations des titulaires de titres miniersconcernant l’emploi et la formation de la main d’œuvre local a été abrogé. Ces obligations seront désormais fixées par décret, en vertu de l’article 6 de la Loi de 2022.
A ce titre, il convient d’indiquer que conformément à son article 10, ce sont toutes les modalités d’application de la Loi de 2022 qui seront fixées par décret. Le Conseil des ministres a ainsi adopté le 22 mars 2023 plusieurs projets de décrets dont : - Le décret n°2023-990 portant organisation et fonctionnement du Comité National de Suivi du Contenu local (CNSCL) dans le secteur des Hydrocarbures et des Mines ; - Le décret n°2023-991 fixant les modalités d'alimentation et de fonctionnement du Fonds d'Appui au Développement du Contenu local dans les secteurs des hydrocarbures et des mines (FADCL) ; et
- Le décret n°2023-979 fixant les modalités de la fourniture locale, des biens et services dans le secteur minier (le « Décret N°2023-979 »), qui ont été définitivement adoptés le 4 mai 2023.
Par le biais de ce dernier décret, le gouvernement sénégalais impose que les biens et les services liés aux activités minières soient fournis par des entreprises locales.
Toutefois, une exception existe au bénéfice des entreprises étrangères en cas d’absence d’entreprises locales à même de le faire, dans des conditions de coûts et de planning comparables et selon les standards internationaux applicables dans l’industrie minière.
Il conviendra dès lors d’être en capacité d’apporter la preuve de cette incapacité des acteurs locaux [10].
Ledit décret prévoit également les modalités de contrôle par le Comité national de Suivi du Contenu local (CNSCL) de la fourniture des biens et services dans le secteur minier.
A titre d’exemple, l’article 9 du Décret n°2023-979 prévoit que les entreprises minières et leurs sous-traitants doivent chaque année soumettre leur plan d'approvisionnement de biens et de services au CNSCL.
Quelles sont les sanctions en cas de violation de la Loi de 2022 ?
Le non-respect des obligations liées au contenu local prévues par la Loi de 2022 expose à des sanctions prévues en son article 7, telles que des amendes, la non-récupération du coût des activités concernées pour les cocontractants ou encore l’exclusion de la plateforme d'appel à concurrence et I‘ interdiction de conclure des marchés liés aux activités minières pour les sous-traitants, fournisseurs et prestataires de services.
[1] La loi n°2016-32 du 8 novembre 2016 portant réforme du Code Minier ainsi que ses décrets d’application (ensemble le « Code Minier »). [2] Article de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives sur le bilan du Sénégal du 20octobre 2021. [3] Notamment l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine(« UEMOA »), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (« CEDEAO ») et l’Union Africaine (« UA »).
[4] La loi n°2019-04 du 1er février 2019 relative au contenu local dans le secteur des hydrocarbures (« Loi Contenu Local dans les Hydrocarbures »). [5] Ledit décret précise que le capital de l’entreprise sera ouvert aux investisseurs sénégalais, toutefois les modalités de la prise de participation seront fixées par arrêté du Ministre des Mines et de la Géologie, sur proposition du Secrétaire technique du CNSCL dans le secteur minier.
[6] Article 16 du Règlementn°18/2003/CM/UEMOA du 22 décembre 2003 portant adoption du Code minier communautaire de l’UEMOA. [7] Article 14 du Règlement n°18/2003/CM/UEMOA du 22 décembre2003 portant adoption du Code minier communautaire de l’UEMOA. [8] Article 8 de la Loi de 2022 qui complète l’article115 du Code Minier. [9] Article 16.7 de la Directive C/DIR 3/05/09 du 27 mai 2009 de la CEDEAO.
[10] Article 4 du Décret n°2023-979.
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