Auteur: Fodé David FAYE, Doctorant en droit privé / EDESH, Université Assane SECK de Ziguinchorn, Sénégal
Article précédemment publié par au Bulletin de l'ERSUMA de Pratique Professionnelle (BEPP) n°69.
La réforme de l’Acte uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution (ci-après l’AUPSRVE) en octobre dernier à l’occasion du trentenaire de l’OHADA a été l’occasion pour le législateur OHADA de mettre davantage à contribution le numérique pour assurer l’effectivité des droits des acteurs économiques. Aux termes de l’article 153 AUPRSVE, « la saisie-attribution de créance peut concerner des avoirs en monnaie électronique ». Le développement de la monnaie électronique dans l’espace OHADA n’a pas laissé le législateur indifférent. En effet, consacrée par plusieurs législations communautaires [1], la monnaie électronique constitue une deuxième génération de monnaies scripturales dématérialisées dont l’intérêt et la pertinence n’ont de mesure que l’évolution exceptionnelle et synchrone dont elle est l’objet. Partout dans le monde, l’on note une tendance haussière des statistiques relatives à l’utilisation de ce système de paiement (Dans son rapport annuel 2021 sur l’évolution des services financiers numériques dans l’UEMOA, publié ce 1er février, la BCEAO indique « qu’une moyenne trimestrielle de 8,77 millions de comptes de monnaie électronique a été observée, soit une évolution de plus de 3 millions par mois » [2]). À cela, il faut ajouter que l’engouement autour du développement des activités commerciales par le biais du numérique, autrement appelé commerce électronique, suggère de la part du législateur une attention des plus sérieuses. En effet, au commerce électronique, (défini comme toute activité économique par laquelle une personne propose ou assure, à distance et par voie électronique, la fourniture de biens et la prestation de services) est inféodé des difficultés identiques à celles liées au commerce classique notamment les difficultés liées au recouvrement de créances et impayés. C’est sans doute dans ce sillage que le législateur OHADA, à l’occasion de la réforme de l’AUPSRVE, a consacré la saisie-attribution de monnaie électronique.
La saisie-attribution est une voie d’exécution forcée par laquelle un créancier peut saisir entre les mains du tiers saisi, les créances relatives à une somme d’argent autres que des créances de rémunération et se faire attribuer les sommes dès l’exploit de saisie. Selon l’article 153 de l’ancien acte uniforme, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations. Dans sa nouvelle rédaction, le législateur y ajoute : « Ces créances peuvent consister en avoirs en monnaie électronique dont le débiteur peut disposer en effectuant un retrait, un paiement ou un transfert. ». La monnaie électronique est définie par l’article premier dudit acte uniforme comme étant toute valeur monétaire représentant une créance sur l’établissement émetteur, stockée ou incorporée sous forme électronique, émise contre remise de fonds, qui peut être utilisée ou qui est acceptée pour effectuer des paiements à des personnes autre que l’émetteur, sans faire intervenir des comptes bancaires dans la transaction [3]. Cette définition de la monnaie électronique est identique à celle donnée par le Règlement n° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiements dans les États membres de l’UEMOA.
Ce nouvel ajout à l’article 153 AUSPRVE, frontispice des dispositions applicables à la saisie-attribution, est révélatrice de la prise de conscience de la part du législateur OHADA de la dimension stratégique de l’électronique et au-delà du numérique dans le développement des activités commerciales et économiques. De plus, l’évolution des tiers de confiance dans le secteur bancaire avec l’avènement des Établissements de Monnaie Électronique (EME) conforte cette tendance [4].
La sécurité juridique dans l’espace OHADA se pose avec acuité surtout avec les risques divers et complexes que les technologies de l’information et de la communication présentent. La révolution numérique est caractérisée par les avantages qu’elle offre mais également par son fagot de difficultés. Elle a fini de bouleverser et les activités économiques et les pratiques juridiques [5]. L’avènement des EME illustre ce propos en ce que, sans être des établissements financiers (Banques ou Systèmes financiers décentralisées), ils se positionnent de façon stratégique dans le secteur. On voit même des établissement financiers développer des politiques concurrentielles afin de ne pas voir leur part de marché s’effilocher au profit des EME (Au Sénégal, à la suite d’un malentendu sur les conditions de rémunération, le service d’achat de crédit téléphonique Orange a été bloqué sur la plateforme de Wave [6]).
Cette situation a mené à des travaux sur la question. La saisissabilité des monnaies électroniques a fait l’objet d’une étude en 2020 dans laquelle, l’auteur, en substance, admet quelques particularismes aux règles de saisies des monnaies électroniques, non sans rappeler les quelques difficultés qu’elle peut présenter notamment dans le cadre de la réalisation de la saisie [7]. Par ailleurs, il a été scruté la production des normes par les entreprises, car au-delà de la simple disruption du secteur financier par les FinTechs [8], ces nouvelles technologies appliquées aux transactions électroniques posent des défis d’adaptabilité au droit économique [9]. Le législateur OHADA semble y apporter une réponse en explicitant dans la nouvelle rédaction de l’article 153 AUPRSVE que les créances pouvant faire l’objet d’une saisie-attribution peuvent aussi être des avoirs en monnaie électronique.
Dans le cadre de sa mise en œuvre, la saisie-attribution de monnaie électronique obéit aux mêmes règles que la saisie-attribution classique. En effet, le tiers saisi, en l’occurrence l’établissement émetteur de monnaie électronique, doit accomplir ses obligations de déclaration et communication conformément à l’article 156 AUPSRVE. L’acte de saisie est signifié à l’établissement émetteur. La signification peut être faite par voie électronique (article 1-8 AUPSRVE). Il est à noter que lorsque la saisie est pratiquée entre les mains des receveurs, dépositaires ou administrateurs de caisse, elle ne sera valable que si l’acte est délivré à la personne préposée pour la recevoir ou à celle déléguée par elle. L'huissier de justice procède à la dénonciation de la saisie faite au débiteur par acte d’officier assermenté. L’acte de dénonciation contient la mention de l’acte de saisie ainsi que les indications relatives aux contestations (v. article 160 AUPSRVE). Le débiteur dispose d’un délai d’un (01) mois à compter de la signification pour procéder aux contestations utiles. A l’expiration de ce délai, le tiers saisi procède au paiement sur présentation d’un certificat du greffe attestant qu’aucune contestation n’a été faite ou sur présentation de la décision exécutoire de la juridiction compétente. Le paiement peut avoir lieu avant l’expiration du délai prévu à condition que le débiteur renonce par déclaration écrite à faire une contestation. Le paiement éteint l’obligation du débiteur et du tiers saisi. Il est effectué contre quittance. En cas de refus de paiement par le tiers saisi, il peut être délivré un titre exécutoire par la juridiction compétente.
La consécration de la possibilité de procéder à la saisie-attribution de monnaie électronique démontre à suffisance la mise à contribution du numérique au service de l’effectivité des droits des acteurs économique. Il s’agit d’un effort à saluer du législateur OHADA qui se met à l’ère du temps au regard du développement du commerce électronique sous les tropiques.
[1] Règlement n°15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans les États membres de l'UEMOA adopté le 19 Septembre 2002 ; Acte additionnel du 16 février 2010 portant transactions électroniques dans l’espace de la CEDEAO ; Règlement n° 01/11-CEMAC/UMAC/CM du 18 septembre 2011, fixant les conditions d’exercice de l’activité d’émission de monnaie électronique, ainsi que les rôles des Autorités de Régulations ; Instruction n° 01_GR du 31 octobre 2011 du Gouverneur de la BEAC, relative à la surveillance des systèmes de paiement par monnaie électronique avec, en annexe, un cadre référentiel recensant les éléments permettant à la BEAC d’assurer sa mission de surveillance de l’activité ; Instruction du Gouverneur n° 02/GR/UMAC du 07 mai 2014 relative à la mise en place du multibanking dans le cadre de l'activité d'émission de la monnaie électronique.
[3] V. Article 1er de l’AUPSRVE, - monnaie électronique.
[4] Les EME sont des personnes morales, autre que les banques, les établissements financiers de paiement et les systèmes financiers décentralisés, habilitées à émettre de la monnaie électronique. Leurs activités se limitent à l’émission et à la distribution de monnaie électronique.
[5] K. DIAWARA, « Présentation. Le droit des activités économiques à l’ère du numérique », Les Cahiers de droit, vol. 60, n°3, 2019, pp. 585-587
[6] V. https://www.ege.fr/infoguerre/guerre-informationnelle-entre-orange-et-wave-dans-le-domaine-du-mobile-money-en-cote-divoire-et-au-senegal ; v. également https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/orange-money-cherche-la-riposte-en-pleine-guerre-des-prix-1355676
[7] F. D. DONFACK, La saisissabilité de la monnaie électronique : essai de systématisation d’une théorie au regard du droit bancaire CEMAC, thèse Université de Dschang, 2020
[8] L’expression « FinTech » combine les termes « finance » et « technologie » : elle désigne une start-up innovante qui développe une technologie numérique innovante pour optimiser un service financier.
[9] I. K. AGBAM, F. D. FAYE, « La legaltech en Afrique Francophone : quelles opportunités », Juriste International UIA, n° 3, Octobre 2021, p. 33
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