Auteur: Douty A. TRAORÉ, Juriste en droit des affaires, Spécialiste en RSE, Auteur
L’OHADA en quelques mots pour commencer… Créée en 1993 par le Traité de Port Louis dans un contexte de crise économique profonde, l’Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) est un instrument destiné à apporter une solution juridico-judiciaire en vue de sécuriser les investissements nationaux et étrangers au sein de ces États-membres. L’OHADA, qui est aujourd’hui la plus importante organisation d’intégration juridique de l’Afrique, est dotée d’un droit harmonisé, moderne et adapté aux réalités des États au sein duquel il s’applique. Composée actuellement de dix-sept États membres, elle compte au total dix actes uniformes. Les actes uniformes sont les textes de lois de l’OHADA, une fois adoptés et publiés dans le journal officiel de l’organisation, ils s’appliquent directement et obligatoirement[1] au sein de l’ensemble des États parties. C’est d’ailleurs par l’entremise des actes uniformes que l’harmonisation du droit de l’OHADA est une réalité au sein de son espace. L’OHADA compte officiellement quatre langues de travail[2], ce sont : le Français, l’Anglais, le Portugais et l’Espagnol. Elle est forte de cinq institutions que sont : La Conférence des chefs d’État et de gouvernement, le Conseil des ministres, le Secrétariat permanent, l’École régionale supérieure de la magistrature (ERSUMA) et la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA).
…puis la RSE en quelques mots. La Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) n’est pas un concept doté d'une seule et unique définition. Les organismes, les juristes, les chercheurs ou encore les acteurs du monde des affaires la définissent en fonction de la manière dont ils l’appréhendent. À cet effet, la Commission européenne en se prêtant à cet exercice a procédé en deux étapes. En 2001, elle définissait la RSE en ces termes : « une intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes[3] ». Puis en 2011, elle a redéfini la RSE comme étant « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société[4]». Dans cette évolution, ce qu'il convient de retenir est que la nouvelle définition est plus simple, mais cette volonté de simplification n’est pas l’évolution la plus pertinente. Ce qu’il convient surtout de retenir, c’est la disparition du terme volontaire dans cette nouvelle définition. La question que l’on pourrait se poser au regard de cette nouvelle définition est de savoir si le retrait du mot volontaire est un signal pour faire comprendre que la RSE, qui originellement est une soft law, le sera de moins en moins. Récemment, Au cours d’une affaire jugée en référé[5] opposant TotalEnergies à des ONG lui reprochant d’avoir manqué à son devoir de vigilance concernant ses projets pétroliers Tilenga et EACOP en Ouganda et en Tanzanie, nous avons eu droit à une définition de la RSE émanant d’un organe judiciaire. Les juges du Tribunal judiciaire de Paris ont en effet, pour la première fois, défini la RSE comme étant : ‘’un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité’’. Le Conseil des ministres de l’OHADA quant à lui appréhende la RSE comme : ‘’l’idée selon laquelle l’entreprise est incitée d’aller au-delà de la seule finalité spéculative et économique au profit de ses seuls membres, pour intégrer, dans sa prise de décision, des considérations plus holistiques de nature éthique, sociale et environnementale pour le bénéfice de toutes les parties prenantes[6]’’. De ces définitions, il ressort qu’il y a trois piliers sur lesquels repose la RSE, ce sont le pilier environnemental, le pilier sociétal et le pilier économique. Développée au milieu des années 50 par les auteurs nord-américains avec principalement Bowen qui a évoqué pour la première fois les termes corporate social responsability[7] (CSR) dans son ouvrage intitulé Responsabilities of businessman (1953), la RSE s’est progressivement répandue dans le monde en ayant un incroyable essor en Europe, et en pénétrant récemment le continent africain où le projet de son intégration dans le droit OHADA ne cesse de susciter les intérêts.
I - La rencontre entre la RSE et l’OHADA : une volonté affichée par les dirigeants de l’organisation.
La volonté du Conseil des ministres. Les dirigeants de l’OHADA ne cessent d’afficher leur volonté de voir la RSE être intégrée dans le droit OHADA. En effet, lors de la cinquantième session du Conseil des ministres qui s’est tenue du 24 au 25 mars 2021 au Mali. De nombreux chantiers ont été objets de discussion, notamment la réalisation d’une étude exploratoire sur la RSE en vue de son intégration dans le droit OHADA. Le Conseil des ministres a dès lors instruit l’actuel Secrétaire permanent, le Professeur Darankoum, de procéder à la réalisation de cette étude. Dans le compte rendu de cette session du Conseil des ministres, il est clairement mentionné que : ‘’l’OHADA se propose d’inclure un volet important relatif à l’économie verte et à la responsabilité sociétale des entreprises, en vue de lutter contre les changements climatiques et de participer à la protection de l’environnement[8]’. Le Conseil des ministres démontre à travers ces propos sa ferme volonté de faire de l’entrée de la RSE dans l’OHADA une réalité, et le secrétaire permanent ne compte pas rester en marge de ce projet.
Le volonté du Secrétaire permanent. Le Professeur Darankoum dans des interviews ou des webinaires au cours desquels il intervient laisse transparaître sa volonté de voir le droit OHADA être irrigué de normes RSE. C’est notamment le cas lors d’un webinaire organisé par le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN) le 6 mai 2021 où il a fait savoir l’urgence qu’il y a de faire intégrer la RSE dans le dispositif de l’OHADA en ces termes : ’’L’opportunité s’offre à moi au moment où je dirige l’organisation de combler une lacune de l’ensemble du Code vert, en ce sens que nous avons dix actes uniformes qui touchent des aspects très importants du droit des affaires, mais qui ne confrontent malheureusement pas de façon systématique cette question épineuse qui préoccupe le monde et plus particulièrement l’Afrique où on observe parfois des dérives’’. Ces propos réaffirment avec vigueur et clarté le choix qu’il opère en tant qu’actuel Secrétaire permanent de l’OHADA, de contribuer à la concrétisation de ce projet pour lequel il a été mis en mission par le Conseil des ministres.
De la parole à l’acte. Pour joindre l'acte à la parole, le cabinet Afrique RSE a été sélectionné par la coopération Allemande pour le développement (GIZ) en vue de la réalisation d’une étude portant sur la manière dont les normes RSE pourraient être introduites en droit OHADA. Le cabinet Afrique RSE a dans le cadre de cette mission, produit des livrables qu’il a transmis aux dirigeants de l’OHADA. Ces livrables portent sur :
une brève présentation de l’Organisation et du contexte ;
l’identification des mécanismes de RSE existant dans le droit des États membres et dans le droit intergouvernemental ;
une mise en revue des options d’ancrage des mécanismes de RSE dans le droit OHADA en vigueur ;
un projet de textes normatifs à concrétiser qui peuvent être intégrés dans le droit OHADA ;
éventuellement, la désignation des textes de loi et des dispositions du droit OHADA qui devraient être modifiés ;
une proposition de modification à soumettre au Secrétariat permanent de l’OHADA afin d’intégrer les règles de la RSE dans le droit OHADA en vigueur.
Entre satisfaction et curiosité. La mission confiée au cabinet Afrique RSE prouve qu'au-delà de simples volontés émises par les dirigeants de l’OHADA, ils sont plutôt déterminés à rendre effective la RSE au sein de cette organisation. Cette nouvelle qui réjouit les partisans de l’introduction de la RSE dans le droit OHADA attise toutefois leur curiosité en ce sens où ils ont hâte de découvrir le contenu de ces livrables qui jusqu’ici n’ont pas été rendus publics. En tout état de cause, ce sur quoi il convient de s’arrêter est que l’OHADA pose des pas sûrs dans le sens de l’intégration de la RSE dans son dispositif, et la finalisation de cette démarche lui sera avantageuse.
II - La rencontre entre la RSE et l’OHADA : quelques avantages.
Des objectifs non économiques pour l’OHADA. Dans une interview accordée au média Afrimag publiée le 16 avril 2021, le professeur Darankoum a affirmé que : « Depuis trente ans, le travail normatif de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) contribue significativement à l’intégration économique du continent en apportant une sécurité juridique favorable au développement des investissements et activités économiques des dix-sept États membres[9] ». Hormis ce constat, plusieurs rapports de la banque mondiale confirment les prouesses réalisées par l’OHADA sur le plan économique au sein de ses États membres. Cependant, avec les enjeux mondiaux actuels principalement tournés vers la lutte contre le changement climatique, la préservation de l’environnement, le respect des droits humains, ou l’éthique au sein du monde des affaires, l’OHADA a l’obligation de se doter de nouveaux objectifs, qui cette fois seront non économiques, et l’intégration de la RSE dans son arsenal lui permettra d’atteindre ce but. Le Secrétaire permanent a d’ailleurs parfaitement compris l’importance, mais surtout, l’urgence de cette préoccupation dans le sens où dans la même interview, il reconnaît que : « Aujourd’hui la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est devenue incontournable[10] ». L’OHADA ne peut donc plus se permettre d’être en marge de l’évolution de ce concept.
La contribution de l’OHADA dans la réalisation des ODD. La RSE dans l'OHADA l'aidera à contribuer efficacement à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Elle lui permettra de ne plus rester en marge de la réalisation de ces objectifs si importants pour l'humanité. Ce soutien de l’OHADA à la réalisation des objectifs de développement durable fera d’elle une organisation plus responsable. Son apport dans l’atteinte de ces objectifs sera possible grâce une prise en considération véritable des exigences liées à la lutte contre le changement climatique et à la préservation de l’environnement dans son dispositif. Ce, par l'entremise de la RSE. Elle pourra dès lors contribuer à rendre plus effectif le développement durable en Afrique en général, et plus particulièrement au sein de son espace.
Une portée plus grande. En termes de portée, l’intégration de la RSE dans l’OHADA sera d'une efficacité sans pareille. Car, par une seule intégration, ce seront dix-sept États qui seront concernés. La portée sera donc plus grande contrairement à la situation dans laquelle chaque État devrait procéder individuellement à un plan de responsabilisation des entreprises installées sur son territoire. Plusieurs difficultés rencontrées au sein de ces différents États pourront ainsi trouver des solutions. Parmi celles-ci, il y a à titre d’exemple les conflits entre les entreprises et les communautés qui sont monnaies courantes au sein de l’espace OHADA. L’intégration de la RSE dans l’OHADA permettra de prévenir ces conflits, voire de les endiguer.
Des entreprises plus responsables et plus compétitives. Réaliser ce projet d’intégration de la RSE dans le droit OHADA favorisera davantage la responsabilisation des entreprises installées dans son espace ainsi que toutes leurs parties prenantes. Mieux, cela aidera ces entreprises à être plus compétitives et les hissera à la hauteur des exigences de la concurrence qu’imposent les marchés internationaux. Le monde des affaires devient de plus en plus compétitif, c'est un monde où règne une forte concurrence au sein duquel les entreprises qui tirent leur épingle du jeu sont celles qui, au regard des enjeux actuels, déploient en leur sein une politique RSE viable et efficace. De plus, les organismes de financement font de plus en plus de l’existence d’une politique RSE au sein des entreprises une condition sine qua non pour l’obtention des financements, or pas de financement, pas d’accroissement de l’entreprise, et pas d’accroissement, moins d’influence dans le jeu de la concurrence.
Et pour finir… Les dirigeants des institutions de l’OHADA - précisément ceux émanant du Conseil des ministres ainsi que l’actuel Secrétaire permanent - ont à plusieurs reprises manifesté l’intérêt qui les anime de voir la RSE être intégrée dans cette organisation. De la session du Conseil des ministres de 2021 aux webinaires en passant par des interviews, ces dirigeants n’ont fait l’économie d’aucun événement quand il s’est agi de faire savoir leur position sur la question de l’intégration de la RSE au droit OHADA. Mieux, ils ont posé un pas important en joignant l’acte à la parole grâce à la sélection du cabinet Afrique RSE - dont l’expertise en matière de RSE sur le continent africain n’est plus à prouver - pour mener une réflexion sur les modalités de l’intégration de la RSE dans le droit OHADA. La finalisation de ce projet aura des conséquences positives sur cette organisation dans le sens où elle lui permettra : d’être dotée d’objectifs à caractère non économique ; de contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable ; de toucher le maximum d’entreprises en raison de sa grande portée ; mais également de responsabiliser les entreprises installées sur son territoire ainsi que leurs parties prenantes tout en les rendant plus compétitives. Toutefois, si l’intention affichée par les dirigeants de l’OHADA est salutaire et que ce projet présente de nombreux avantages, il convient de préciser que seule une modalité d’intégration parfaitement adaptée au contexte de l’OHADA pourra lui garantir une RSE dotée d’une efficacité optimale.
[1] Article 10 du Traité de l’OHADA : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties nonobstant toutes dispositions contraires de droit interne, antérieure ou postérieure ».
[2]Article 42 (Modifié par le Traité de Québec du 17 octobre 2008) : « Les langues de travail de l'OHADA sont : le français, l'anglais, l'espagnol et le portugais.
Avant traduction dans les autres langues, les documents déjà publiés en français produisent tous leurs effets. En cas de divergence entre les différentes traductions, la version française fait foi ».
[3]« Promouvoir un cadre européen pour la RSE », livre vert, Commission européenne, 2001, p.7.
[4]« Communication de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions », Commission européenne, 2011, p.7.
[5]Jugement rendu en état de de référé n°RG 22/53942, Tribunal judiciaire de Paris, 2023, p.15.
[6]Compte-rendu de la session du Conseil des ministres de l’OHADA, Conseil des ministres de l’OHADA, 2021, p.9.
[7]Expression anglaise désignant la responsabilité sociétale des entreprises.
[8]Idem.
[9]CIAN, vers une intégration de la RSE en droit OHADA, 06 mai 2021, [en ligne], (dernière consultation le 05 avril 2023), https://www.youtube.com/watch?v=_RkIT6swzXo
[10]Ibid.
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