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La possibilité de cession des créances de la filiale pour garantir la dette de la société mère

Dernière mise à jour : 16 déc. 2024

Auteur: Dr. Albert DIONE, Avocat au Barreau de Paris.


 

Une société mère peut-elle céder les créances de sa filiale pour garantir son prêt ?

Une telle question pratique n’est pas sans intérêt dans la mesure où la problématique de la question se trouve sur la faisabilité de l’opération.

Il s’agira donc de voir, par quel mécanisme, la maison mère peut obtenir l’autorisation de donner en garantie de son prêt les créances de sa filiale.

La question ainsi posée rend l’opération envisageable, voire possible.


En principe, l’autonomie juridique entre la maison mère et la filiale, ne permet pas à la première, de détenir les créances de sa filiale pour être en mesure de les donner en garantie.

De même, le respect de l’intérêt social de la filiale limite les possibilités de recourir à de telles garanties. Mais cela ne vaut qu’en théorie, dans la pratique, il en est autrement.

La réalisation de l’opération ferait appel à deux hypothèses.

D’une part la filiale peut, à travers un accord avec la mère, céder ses créances à titre de garantie du prêt de la maison mère.

D’autre part, la filiale peut céder ces créances à la mère, qui à son tour va les nantir au profit de la banque. 


La première hypothèse soulève la question de la sûreté pour autrui prévue à l’article 4 alinéa 3 de l’Acte Uniforme portant organisation des sûretés (AUS). Tandis que la seconde fait allusion à la cession de créance prévue à l’article 1282 du Code civil guinéen.


Ces deux hypothèses suscitent de nouvelles questions qui ont trait à l’intérêt social et à l’objet social.

En effet, il existe un principe sacro-saint en droit des sociétés qui exigent que les activités ou opérations de la société soient conformes à l’objet ou à l’intérêt social.

Nous tenons à rappeler que dans les rapports entre associés et en l'absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, le représentant légal peut accomplir tous les actes de gestion dans l'intérêt de la société[1].

Aussi dans les rapports avec les tiers, le représentant légal engage la société par les actes entrant dans l’objet social[2].

Cependant, les actes de dispositions tels que les sûretés et les cessions de créances sont encadrées par la loi ou les statuts et doivent souvent faire l’objet d’une autorisation des associés ou des organes sociaux.


Il ressort de la question posée, que la filiale n’est pas partie au contrat de prêt pour lequel sa contribution est sollicitée. Ce qui soulève la question de savoir : est-ce que la cession envisagée est conforme à l’objet ou à l’intérêt social de la filiale ? Est-ce qu’une autorisation des organes sociaux est nécessaire ? Faut-il conclure un accord ?


Pour répondre à ces interrogations, nous discuterons de la relation juridique et économique entre mère et filiale (A) avant d’analyser les conditions dans lesquelles les deux types de cessions pourraient s’opérer (B).


A.   LA RELATION JURIDIQUE ET ECONOMIQUE ENTRE FILIALE ET SOCIETE MERE


La notion de filiale n’est plus à définir tant la doctrine et les textes de loi l’ont bien défini. 

Les deux sociétés sont juridiquement autonomes, donc, par principe, la relation de responsabilité devrait être étanche. En cas d'engagement comme en cas de dette de la part de la filiale, la mère ne peut être tenue à l'engagement de la filiale, ni à rembourser ses dettes.


C’est dans ce contexte que la Cour de cassation française[3] à retenue qu'en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d’un groupe, une société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale, sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives.


Le groupe de sociétés correspond bien à l’unité économique en raison des liens financiers étroits existants entre les sociétés. La société est créée dans l’objectif de tirer profit de l’économie qui peut en résulter[4]. Par exemple, dans le cadre du développement de ses activités, la société mère peut s’associer avec d’autres sociétés pour créer une filiale.

Le groupe ainsi créé, ne comporte pas de réalité juridique, même si celui-ci est défini comme un ensemble de sociétés juridiquement indépendantes, mais formant une unité économique en raison de liens financiers étroits[5]. Il ne dispose pas d’identité propre lui conférant un régime de fonctionnement univoque.

S’il s’agit d’un espace unifié sur le plan managérial, le groupe demeure, aux yeux du juriste, une somme d’entités devant fonctionner comme si elles étaient indépendantes[6].

A ce propos, l’AUDSCGIE se limite à donner la composition du groupe, sans indiquer son régime juridique.

Cette relation économique entre groupe de sociétés, s’étend entre société mère et filiale.

En effet, la relation mère et fille est prévue par l’AUDSCGIE.

Au sens de l’article 179 de cet Acte uniforme, une société est mère d’une autre société si elle possède dans la seconde plus de la moitié du capital. Cela a pour conséquence que la maison mère peut exercer un contrôle sur la filiale. Ce qui lui donne la possibilité d’intervenir et d’arbitrer, de façon prioritaire, pour prendre des décisions concernant la vie de sa filiale.


Les filiales sont en effet tenues de respecter, au mieux, les recommandations et les procédures élaborées par la maison mère, au pire, elles sont tenues de respecter les choix[7] de politique économique.

La maison mère est donc dans un rôle de prescripteur de choix qu’elle considère comme avantageux pour la filiale.  


Dès lors que la société mère poursuit un objectif économique à travers la filiale, elle pourrait être amenée à solliciter la filiale pour réaliser cet objectif économique.

Ainsi, la filiale pourrait céder ses créances pour garantir la dette de la société mère. Mais cette opération soulève des questions.


À ce stade des développements, la réponse à la question soulevée au début de cet article suscite une nouvelle interrogation. Le créancier de la mère, peut-il demander la mise en œuvre de la garantie à la filiale ?


En principe non. Puisque la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui, à la différence des sûretés personnelle comme le cautionnement ou la garantie à première demande, n’implique aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui.

C’est la propriété qui est cédée à titre de garantie.

La fille comme la mère assume seule ses engagements et le créancier ne saurait se baser sur le lien entre la mère et la fille pour la mise en œuvre de la sûreté réelle.

Le lien économique entre mère et fille ne vaut pas garantie d’engagement entre sociétés liées. La filiale est censée avoir ses propres créanciers lesquels n’ont aucun lien avec la société mère.

Les raisons de cette réponse sont tirées du principe de l’autonomie juridique entre la mère et la fille.

Il ne faut pas tenir compte de la domination économique exercée par la mère sur la fille. Mais, cette impossibilité pour le créancier de la mère de demander la mise en œuvre de la dette de cette dernière à sa filiale connait des exceptions. La première est tirée de la confusion de patrimoine alors que la seconde tient au fait que la mère peut s’immiscer dans les affaires de la filiale.


La confusion de patrimoine. Elle fait disparaître l’autonomie économique. Il existe une relation financière entre mère et fille à tel point qu’il n’est pas possible de différencier le patrimoine financier des deux sociétés.


L’immixtion dans les affaires de la filiale. En effet, la société mère est tenue de répondre de la dette de la filiale, si son immixtion dans les relations contractuelles avec la filiale, a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu’elle était aussi le cocontractant de la société mère[8]. La violation de l’autonomie juridique a pour conséquence, en cas de litige, la poursuite commune des deux sociétés.   

S’il n’est pas interdit que la fille puisse céder, voire nantir ses créances au profit de la mère, il y a lieu de voir maintenant comment cette opération va se dérouler au regard du droit des sociétés et du droit civil guinéen.


B.   LES CONDITIONS DE LA CESSION DES CREANCES DE LA FILLE AU PROFIT DE LA BANQUE PRETEUSE


  • La cession de créance à titre de garantie de la dette de la mère. 


Il ressort de l’article 80 de l’AUS qu’une créance détenue sur un tiers peut être cédée à titre de garantie de tout crédit consenti par une personne morale nationale ou étrangère, faisant à titre de profession habituelle et pour son compte des opérations de banque ou de crédit.

Dans la question de départ, la fille va céder ses créances à la banque pour garantir les crédits accordés à la mère, peu importe que la banque se trouve en Guinée ou à l’étranger.

On se trouve dès lors, dans le mécanisme de la cession de créance pour garantir la dette d’autrui. Il faut rappeler que le mécanisme des sûretés réelles pour autrui relève de l’interprétation de l’article 4 alinéa 3 de l’AUS.

Ce dernier dispose que « les sûretés réelles peuvent être constituées par le débiteur lui-même ou un tiers en garantie de l’obligation… ».

Ici, le tiers constitue la sûreté pour autrui. Étant donné que ce n’est plus le débiteur qui apporte ses propres biens en garantie, mais c’est plutôt le tiers qui met ses biens en garantie au bénéfice du débiteur.

Dans ce contexte, la filiale, en tant que tiers au regard du principe de l’autonomie juridique, pourra apporter en garantie ses propres créances au profit de la banque en garantie des obligations de la maison mère. 


  • Les conditions de la cession des créances de la filiale à titre de garantie du prêt de la mère. 


Du fait de l’autonomie juridique entre mère et fille, cette cession ne peut se faire qu’en respectant certaines conditions de forme, mais aussi de fond.

Il est constant que cette opération qui a un caractère juridique et financier ne peut se faire ex nihilo. Il faut obligatoirement un accord ou une convention. Et faudrait-il que l’opération et l’accord soient prévus ou autorisés par les statuts ou les organes sociaux.

Les conventions de garantie entre mère et fille sont peu connues dans l’espace OHADA.

En effet, si l’AUDSCGIE fait allusion au groupe de société, il ne traite pas les conventions pouvant être conclues entre ces sociétés. Et, les conventions interdites prévues par les articles 356, 450, 507, 853-16 et suivant de l’AUDSCGIE, c’est-à-dire celles présentant un risque énorme pour le patrimoine de l’entreprise, ne visent pas les personnes morales, mais plutôt les dirigeants.

Le mutisme du législateur OHADA ne met pas pourtant en cause la légalité ou la validité de ces conventions.

Par conséquent, nous pensons que les critères essentiels à la validité de ces conventions, ainsi que les principaux risques attachés à leur stipulation, ne sont pas susceptibles de conduire à la nullité des conventions de cession de créance de la filiale en faveur de la mère.  

Par exemple, il pourrait être décidé en assemblée générale une résolution par laquelle la filiale va céder ses créances en garantie de l’emprunt de la société mère.

Si elle est facile à mettre en œuvre dans le cadre d’une filiale avec associé unique, une telle opération pourrait se heurter à une opposition des autres actionnaires dans le cas des filiales avec plusieurs actionnaires. Il faudra concilier les intérêts des uns et des autres et faire attention aux abus de majorité ou de minorité.

Il est donc dans l’intérêt de la société mère de mettre de son côté les actionnaires minoritaires ou égalitaires en vue d’arriver à l’élaboration de la convention.


  • La conformité de l’opération à l’intérêt ou à l’objet sociale de la filiale. 


La condition essentielle de la validité de la cession de créance de la filiale au profit de la mère serait que l’opération s’accorde avec l’intérêt social ou l’objet social de la filiale.

Ainsi, en cédant ses créances, la filiale peut s’attendre à bénéficier des retombées de l’emprunt contracté par la société mère à travers une augmentation de capital par exemple.

La garantie donnée dans le cadre de cette cession de créance à titre de garantie pourrait être soumise à l’appréciation du juge. C’est ce qui ressort d’une jurisprudence française[9]. Dans cette affaire, un liquidateur judiciaire sollicitait la nullité du cautionnement accordé par une filiale vis-à-vis de sa société mère en garantie d’une ouverture de crédit octroyée à cette dernière par un établissement bancaire, au motif qu’il s’agissait d’un acte gratuit intervenu en période suspecte. La chambre commerciale de la Cour de cassation française approuve la solution de la Cour d’appel qui, pour débouter le liquidateur judiciaire, a considéré que la filiale avait un intérêt à favoriser le financement de sa société mère laquelle pourrait ainsi participer à son propre développement ; et qu’en conséquence, l’acte de cautionnement avait une contrepartie et ne constituait pas un acte à titre gratuit.

Cependant, la cession d’une créance à titre de garantie n’ayant pas un effet libératoire, la banque cessionnaire peut poursuivre, par voie d’injonction de payer, le recouvrement de la créance principale, si la mise en œuvre des garanties fournies est infructueuse.


  • Les conditions de la cession des créances entre filiale et mère.


Si elle trouve contraignante la procédure de cession de créance à titre de garantie, la filiale peut opter pour la cession de créance prévue par le droit commun. Comme soulevé dans la partie introductive de l’article, il s’agira pour la filiale de céder ces créances à la mère, qui à son tour va les nantir au profit de la banque. Cette cession, qui ne requiert pas le consentement du débiteur de la créance cédée, devra néanmoins être constatée dans un écrit comportant, à peine de nullité, le nom ou la dénomination sociale du cédant et du cessionnaire ; la date de la cession et la désignation des créances garantes et des créances cédées[10].  Avec cette option, la maison mère devient créancière en lieu et place de la filiale et bénéficie des droits et sûretés attachés à la créance.

Si cette cession de créance est à première vue un acte civil. Elle va néanmoins revêtir un caractère commercial en raison de la qualité de commerçants des parties.

La question qui se poserait, serait plutôt celle de savoir si cette cession doit être à titre gratuit ou onéreux. Le Code civil guinéen ne donne aucune précision. Et, laisse ainsi le choix entre les mains des sociétés impliquées dans cette opération. Dans tous les cas, cette cession devra comme dans le cas de la cession de créance à titre de garantie, être conforme à l’objet et à l’intérêt social de la filiale, à défaut de lui procurer une contrepartie immédiate.  

En plus, l’importance de l’opération devrait susciter une assemblée des actionnaires dans le cas des filiales pluri-actionnaires et faire l’objet d’une convention entre mère et fille.

 


[1] Pour la SNC : Article 277 de AUDSCGIE

[2] Pour la SNC : Article 277-1 de AUDSCGIE

[3] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 novembre 2022, 20-22.063, Publié au bulletin.

[4] C’est ce qui ressort de l’article 4 alinéa 1 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’intérêt économique (« AUSC-GIE »).

[5] Dictionnaire permanent du Droit des affaires.

[6] Alain Couret, L’évolution juridique du cadre, Dans Revue Française de gestion 2002/5 (N°141), p. 388, Ed. Lavoisier.

[7] Jean-Pierre DETRIE, Stratégie, Structure, Décision, Identité, Paris, Inter-Editions, 1993 (2ème édition).

[8] Cass. com., 9 nov. 2022, no 20-22063.

[9] Cass. civ. Com., arrêt du 19 novembre 2013, 12-23.020 publié au bulletin.

[10] Article 1282 de l’AUS.


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