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Le bon de commande et le recours à la procédure d'injonction de payer

Auteurs: Flora WAMBA, Avocate aux Barreau du Cameroun et de Paris, et Olivier NOUCK, Avocat au Barreau du Cameroun


Le législateur OHADA a adopté le 10 avril 1998 un Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVE) [1].

Cet Acte uniforme, entré en vigueur le 10 juillet 1998, régit la procédure d’injonction de payer, procédure simplifiée de recouvrement par excellence, qui est définie comme une procédure par laquelle un créancier a la possibilité d’obtenir rapidement un titre exécutoire condamnant son débiteur au paiement de la créance [2]. Elle constitue une part importante du contentieux du recouvrement traité par la haute juridiction communautaire [3] car elle permet au créancier d’obtenir un titre exécutoire rapidement en raison de l’inexécution des obligations découlant du contrat par son débiteur.


La procédure d’injonction de payer est réglementée par les articles 1 à 18 de l’AUPSRVE dont l’un nous intéresse particulièrement. Il s’agit de l’article 2, aux termes duquel :

« La procédure d’injonction de payer peut être introduite lorsque :

1°) La créance a une cause contractuelle

2°) L’engagement résulte de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce, ou d’un chèque dont la provision s’est révélée inexistante ou insuffisante »


Dans la pratique, le recours à cette procédure simplifiée de recouvrement pose régulièrement des difficultés devant les juridictions camerounaises, notamment lorsqu’elle fait suite à l’exécution d’un bon de commande.


En effet, le bon de commande s’entend comme un écrit simplifié valant manifestation de volonté par laquelle, l’une des parties (maître de l’ouvrage, acquéreur, client) demande à l’autre partie (entrepreneur, fournisseur…) de réaliser un ouvrage, ou de livrer une marchandise en général dans un délai et à des conditions déterminées [4]. A l’observation, celui-ci s’analyse donc comme une promesse de vente, de fourniture, ou de prestation de service par laquelle les deux parties s’engagent à exécuter des obligations réciproques.


Tel que défini, le bon de commande peut-il justifier le recours à la procédure d’injonction de payer en cas de non-paiement du prix convenu par les parties ?


L’AUPSRVE qui autorise le recours à la procédure d’injonction de payer lorsque la créance a une cause contractuelle, n’a pas apporté de plus amples précisions sur l’étendue de la notion de cause contractuelle. C’est la jurisprudence qui a donné quelques précisions sur cette notion (2). Mais avant d’examiner la Jurisprudence en la matière, il est important d’analyser préalablement la problématique de la valeur juridique du bon de commande (1).



1- La valeur juridique du bon de commande


Un bon de commande vaut-il contrat ? Telle est la question à laquelle il y a lieu d’apporter une réponse.


Pour y répondre de manière précise, il est important, voir nécessaire, de rappeler préalablement la définition du contrat.


Selon le Vocabulaire Juridique de Gérard Cornu, le contrat est défini comme étant « une convention ayant pour objet de créer une obligation ou de transférer la propriété [5] ».


Le Code Civil quant à lui, définit le contrat comme « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes, s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, faire ou ne pas faire quelque chose [6]».


A la lecture combinée de ces deux définitions, il ressort un élément commun, celui de la création d’obligations réciproques entre les parties, bien que celles-ci puissent résulter d’un engagement unilatéral qui nécessite tout de même, l’acceptation du créancier de ladite obligation.


S’agissant du bon de commande, il y a lieu de préciser qu’il s’agit d’un document qui est usité la plupart du temps dans le cadre des échanges commerciaux. Il s’agit donc à n’en point douter, d’un document commercial. Il fait office de contrat signé dans le cadre d’une vente de biens, le plus souvent. Ce document lie un vendeur, qui émet le bon de commande, et un acheteur, qui le signe.


La signature constitue dès lors la preuve du consentement expresse à la vente des deux parties et concrétise la vente. Le vendeur se trouve alors dans l’obligation de livrer la commande, et l’acheteur s’engage à la réceptionner et à en payer le prix au vendeur, ce qui fait du bon de commande ne comportant aucune réserve, un acte assimilé à une promesse synallagmatique de vente.


Il peut cependant arriver que le bon de commande ne soit pas signé par l’acheteur ou le prestataire. Dans cette hypothèse, l’acceptation peut être tacite et résulter d’un comportement non équivoque, c’est-à-dire d’un geste ou d’un signe communément admis comme exprimant un accord. Une telle admission se réfère aux usages ayant cours dans le milieu professionnel considéré. Il peut s’agir d’une exécution ou d’un simple commencement d’exécution. Cette exécution ou commencement d’exécution matérialise donc ainsi l’accord du vendeur ou du prestataire.


Il découle de ce qui précède que le bon de commande est une offre de contrat de la part du professionnel vendeur, qui s’engage notamment sur des marchandises, des prix et des délais de livraison. L’ensemble des obligations essentielles du contrat figurent donc nécessairement dans ce document. En effet, dans la pratique, le bon de commande comporte certaines mentions relatives à la description de la commande à savoir, l’identification des produits ou marchandises, leur quantité, le prix unitaire hors taxes, taux de TVA ainsi que le délai et les modalités de paiement le cas échéant. Dans le cas de Bons de commandes relatifs aux prestations de services, les mentions qui figurent sur celui-ci sont généralement relatives à la description de chaque prestation, à la quantité, ainsi qu’à la durée estimée et au prix.


Tel qu’illustré ci-dessus, le mécanisme du bon de commande se rapproche de celui de la vente commerciale telle que définie par l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général (AUDGC).


Dans la vente commerciale, le contrat se conclut soit par l’acceptation d’une offre, soit par un comportement des parties qui manifeste suffisamment leur accord. L’offre est suffisamment précise lorsqu’elle désigne les marchandises, et expressément ou implicitement, fixe la quantité et le prix ou donne les indications permettant de les déterminer [7].


Il en résulte dès lors qu’un bon de commande accepté soit par signature ou par toute forme d’écrit (message numérique…), soit par commencement d’exécution par le vendeur ou le prestataire, présente des caractéristiques similaires à la vente commerciale telle que définie par l’AUDGC. On constate donc que le bon de commande peut être de manière non équivoque assimilé à un contrat.


Toutefois, en pratique, certaines juridictions camerounaises ont tendance à considérer que le bon de commande n’est pas suffisant pour introduire une procédure d’injonction de payer. On constatera que cette position prise est en parfaite contradiction avec la jurisprudence communautaire.



2- La position des juridictions vis-à-vis du bon de commande dans le cadre de procédures d’injonction de payer


Dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, celui qui prétend être créancier doit rapporter la preuve de l'origine contractuelle de sa créance pour exercer l'action en recouvrement contre son débiteur.


La cause contractuelle de la créance suppose une relation juridique entre le débiteur et le créancier. Il peut s’agir d’un contrat synallagmatique ou d’un contrat unilatéral, l’essentiel étant qu’il s’agisse d’un contrat. Il convient dès lors d’observer que, compte tenu des termes utilisés par le législateur communautaire « créance ayant une cause contractuelle» [8], la procédure d’injonction de payer ne peut être utilisée lorsque la personne en cause n’est pas contractuellement tenue envers le demandeur.


Ainsi, à titre d’illustration jurisprudentielle, une créance résultant d’une reconnaissance de dette, engagement unilatéral, a bien une cause contractuelle et peut valablement être soumise à la procédure d’injonction de payer. Mais pour justifier le recours à la procédure d’injonction de payer, la reconnaissance de dette doit revêtir un caractère véritablement contractuel en laissant transparaître les consentements des personnes concernées [9].


C’est du moins ce que la haute juridiction communautaire semble indiquer dans un arrêt dans lequel une reconnaissance de dette notariée était libellée ainsi qu’il suit : « par la présente, le DEBITEUR reconnaît devoir légitimement au CREANCIER, ici présent qui accepte, la somme de FCFA 190 000 000, pour prêt de pareille somme qu’il a lui-même consenti dès avant ce jour, directement entre ses mains » [10].


En raisonnant par analogie, le bon de commande dont la valeur juridique a été analysée plus haut, est effectivement un contrat à part entière justifiant le recours à la procédure d’injonction de payer.


En effet, par plusieurs arrêts, la haute juridiction communautaire a levé l’équivoque en précisant que le bon de commande, eu égard à sa nature contractuelle, justifie le recours à la procédure d’injonction de payer.


Ainsi, dans son arrêt du 15 mars 2012, la haute juridiction affirme qu’une créance fondée sur des pièces non contestées par le débiteur, notamment des bons de commandes, bordereaux de livraison, et factures non acquittées, présente les caractères de certitude, de liquidité et d’exigibilité exigés par l’article 1er de l’AUPSRVE et peut dès lors être soumise à la procédure d’injonction de payer [11].


Cette position a été confirmée par un autre arrêt de la CCJA du 05 Mai 2013, dans lequel la Haute juridiction, allant plus loin, précise que, « n'a pas donné de base légale à son arrêt, qui doit être cassé, la cour d'appel qui a estimé qu'une créance n'est pas certaine parce que la créancière ne rapporte pas la preuve de l'exécution de la réparation par la production du bordereau de livraison à la débitrice. Il en est ainsi dès lors qu'aucune disposition de l'AUPSRVE n'exige, pour établir la certitude d'une créance, la production d'un bordereau de livraison, et qu'en l'espèce, la débitrice n'a jamais contesté les travaux réalisés. Sur évocation, est certaine la créance fondée sur la production d'un bon de commande, d'une facture et de la commande signée du débiteur qui ne conteste ni la relation contractuelle les liant, ni même la réalisation des réparations objet de ladite facture » [12].


Il ressort clairement de ce dernier arrêt de la CCJA qu’une créance découlant d’un bon de commande dont l’exécution n’est pas contestée, a une origine contractuelle justifiant le recours à la procédure d’injonction de payer, sans qu’il soit nécessaire d’exiger un bordereau de livraison.


Cependant, on constate que devant certaines juridictions camerounaises, les chefs de juridictions ont tendance à rejeter les requêtes aux fins d’injonction de payer qui leur sont adressées, considérant qu’il faille nécessairement produire des contrats liant ou ayant lié les parties malgré la production d’un bon de commande et la facture matérialisant la demande de paiement du prix convenu.


Cette exigence semble exagérée dans la mesure où, le bon de commande, tel qu’analysé ci-dessus, présente toutes les caractéristiques d’un contrat lato sensu et suffit donc à justifier le recours à la procédure d’injonction de payer et dans la mesure où d’une part, il est suivi d’une facture qui matérialise la demande de paiement du prix convenu et que d’autre part, le débiteur ne conteste pas les travaux réalisés ou la marchandise livrée.


On constate par ailleurs que cette exigence va en contradiction avec la position de la haute juridiction communautaire qui dans plusieurs arrêts, a précisé l’étendue de la notion de cause contractuelle de la créance en reconnaissant au bon de commande son caractère contractuel, suffisant pour recourir à la procédure d’injonction de payer.


Ainsi donc, les chefs de juridictions devraient avoir à l’esprit, lors de l’examen desdites requêtes et des documents produits par les créanciers, la position de la CCJA sur la question, et laisser le soin au juge statuant sur l’opposition éventuelle du débiteur, de régler toutes les questions de fond susceptibles d’être soulevées par ce dernier.



 

Pour conclure, un état des lieux de la pratique de certaines juridictions permet de constater que certaines juridictions locales ne suivent pas à la lettre la jurisprudence communautaire et remettent en question la valeur contractuelle du bon de commande, ce qui affaiblit le créancier qui se retrouve dans l’impossibilité d’introduire sa requête en injonction de payer. Or, l’on sait que la pratique locale la plus courante est celle du bon de commande et que très peu d’entreprises ont recours au contrat.


Face à cette réticence de certaines juridictions, nous préconisons d’être prudent lors de l’entrée en relation avec des partenaires en formalisant la relation contractuelle par un contrat, afin d’éviter toute éventuelle déconvenue devant certaines juridictions.



[1] J.O., OHADA, n° 6, 01/1198, p. 1 et suivante [2] A-M. H. ASSI-ESSO et N. DIOUF, Recouvrement des créances, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 1 et suivantes. [3] Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (C.C.J.A). [4] Vocabulaire de Gérard Cornu, PUF, 11e édition mise à jour « Quadrige » : jan. 2016 [5] Vocabulaire de Gérard Cornu, PUF, 11e édition mise à jour « Quadrige » : jan. 2016 [6] Article 1101 du Code Civil applicable au Cameroun [7] Article 241 de l’AUDGC. [8] Article 2 alinéa 1 de l’ L’AUPSRVE [9] Maître Jérémie WAMBO, les récents développements de la jurisprudence communautaire ohada en matière d’injonction de payer. [10] CCJA, arrêt n° 015/2012 du 08 Mars 2012, affaire BAO THIEMELE ASSANVON Léon C/ KEJZMAN Robert. [11] CCJA, arrêt n° 019/2012 du 15 mars 2012, aff. Gogbe Soumahoro. [12] CCJA, arrêt n° 031/2013 du 02 Mai 2013, pourvoi n° 097/2006/pc du 08 Décembre 2006, Aff. société compagnie française de l’Afrique de l'ouest dite cfao-c c/ société scierie du bandama.

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