Auteur: Jonathan Aimé Péléni Koné, Doctorant en droit des affaires / Chargé d’enseignement à l'Université Toulouse 1 Capitole.
Article publié également sur le site Village de la justice
Dans le monde entier, on s’accorde sur le fait que la vigueur de la croissance économique contribue au développement social et à la réduction de la pauvreté. Notre société contemporaine étant aujourd’hui affectée par le phénomène de la globalisation et de la mondialisation économique, les sociétés commerciales apparaissent aujourd’hui comme étant les principaux acteurs de la vie et de la croissance économique. Ainsi donc, le bien-être de la société constitue un élément déterminant à la stabilité des affaires.
La société dans sa vocation créatrice de richesses est l’objet et le réceptacle d’intérêts divergents, conflictuels, mettant aux prises des actionnaires, avec pour conséquences, d’importantes menaces sur le fonctionnement et l’existence de l’exploitation [1].
Par conséquent, l’intérêt considérable qu’est la stabilité de la société gage de bien-être économique sociétal, dans un tel contexte, apparaît déterminant pour l’entreprise.
Il est donc nécessaire de disposer d’une sécurité juridique et judiciaire.
Face au caractère prépondérant de l’efficacité du cadre juridique des sociétés, a été instituée l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (en abrégé OHADA), une organisation intergouvernementale d'intégration juridique regroupant à ce jour 17 pays africains. Fondée par le traité du 17 octobre 1993 signé à Port-Louis (île Maurice), et révisé le 17 octobre 2008 à Québec (Canada), cette organisation a pour essence la rationalisation de l'environnement juridique afin de garantir la sécurité juridique et judiciaire des activités économiques, dans la perspective de stimuler l'investissement et de créer un nouveau pôle de développement en Afrique [2].
Comme le disait le regretté Professeur et Juge Kéba Mbaye : « L’OHADA est un outil juridique imaginée réalisé par l’Afrique pour servir l’intégration économique et la croissance » [3].
Le droit des sociétés commerciales a pour objectif de fournir aux sociétés commerciales les règles juridiques dont elles ont besoin pour exercer leurs activités économiques au sein de l’espace juridique OHADA [4].
S’inscrivant par conséquent dans cette lignée, le législateur OHADA a construit plusieurs dispositifs juridiques dont l’acte uniforme portant Droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Économique (GIE), entré en vigueur le 01 janvier 1998[5] et dont l’intérêt est la mise en œuvre de dispositions afférentes à toutes les formes de sociétés commerciales[6].
Considérant l’approche civiliste de la notion de société, notons qu’elle peut être définie comme « est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun(…). » [7].
A titre d'illustration, la définition que donne le Code civil français de la notion de société énonce clairement le préalable de la constitution d’une société, constitution fondée sur les conditions quant à sa formation. Cette nécessité des composantes relatives à la constitution de la société commerciale s’appréhende à travers le Code civil français énonçant que l’apport constitue un élément fondamental dont ne saurait déroger en vue de la création d’une société commerciale, cette assertion se justifie par ; « mettre quelque chose en commun ou à la disposition de… ».
De ce fait, l’apport en société est donc le bien qu’un associé s’engage à mettre à la disposition de la société en vue de l’exploitation en contrepartie de la reconnaissance d’un droit à une quote-part dans les bénéfices qui seront éventuellement générés par les activités communes[8]. La société en tant que personne morale doit nécessairement avoir un patrimoine et ce sont les apports qui constituent le patrimoine initial de la société. Selon l’article 37[9] de l’Acte Uniforme portant Droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE), « chaque associé doit faire un apport à la société. Chaque associé est débiteur envers la société de tout ce qu’il s’est obligé à lui apporter en numéraire, en nature ou en industrie. ».
Ainsi les personnes qui n’ont pas souscrit ni libéré d’apport n’ont pas la qualité d’associé[10] (CA, Niamey, arrêt n° 240 du 8 décembre 2000).
L’AUSCGIE prévoit en son article 40 trois types d’apports. Cet article prévoit que chaque associé peut faire des apports en numéraire, en nature ou en industrie[11].
L’apport en numéraire s’appréhende comme étant un apport en argent[12] ; c’est en réalité le plus habituel des apports. Seulement il ne faudrait aucunement confondre l’apport en numéraire avec le versement en compte courant.
Parlant d’apport en nature[13], il faut noter que tout apport d’un bien autre qu’en argent ou en industrie est un apport en nature. Le bien apporté peut être un meuble ou un immeuble ; il peut être soit corporel soit incorporel. L’apport en nature peut donc être un apport en propriété ou un apport en jouissance. La problématique liée à ce type d’apport est son évaluation[14].
Le dernier type d’apport est l’apport en industrie. On parle d’apport en industrie selon l’Acte uniforme lorsque l’associé apporteur donne de ses connaissances techniques ou professionnelles ou des services. Contrairement au deux premiers apports, l’apport en industrie en société est immatériel.
Dans le cadre de cette étude nous ne nous intéresserons pas aux conditions de création d’une société ni d’une étude approfondie sur les apports en sociétés. En ce qui nous concerne, nous nous limiterons à l’étude de l’apport en industrie.
Les apports en industrie ont trait à un apport de main d’œuvre ou de compétence effectué au profit de la société. Plus précisément, aux termes de l’alinéa 1er de l’article 50-1 AUSCGIE : « Les apports en industrie sont réalisés par la mise à disposition effective de la société de connaissances techniques ou professionnelles ou de services ». Ces apports sont constitués en général par le travail ou l’activité que l’apporteur effectue ou promet d’effectuer au regard de ses compétences techniques ou commerciales, ou encore des services qu’il rendra en faisant bénéficier la société de son savoir-faire ou de son expérience. L’apporteur en industrie est un travailleur et son apport consistera en l’engagement de travailler pour la société. Le terme « industrie » doit être pris dans son sens étymologique du latin « industria ». Il s’agit donc d’un travail de direction exécuté en qualité d’associé.
L’Acte uniforme consacre depuis plus d’une décennie l’apport en industrie dans le droit des sociétés en zone OHADA. Quoique cette notion soit très ancienne, cette notion a été introduite en droit OHADA avec la rentrée en vigueur de l’Acte uniforme portant Sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. Mais l’article 40 alinéa 2 de cet Acte uniforme le réduisait au seul « apport de main d’œuvre ». Il a avant tout été entériné par le Code Civil Napoléonien [15].
Dans l’Acte uniforme actuellement en vigueur l’apport en industrie est prévu par les articles 50-1 et suivants et est opposé aux apports en nature et en numéraire. Comme pour ceux-ci , le législateur OHADA a prévu un régime particulier relatif à l’apport en industrie. Faut-il de ce part souligner qu'à l'opposé du droit français le droit OHADA accorde une place quelque peu insignifiante à l’apport en industrie.
Selon l’article 50-1[16] alinéa 1 de l’AUSCGIE les apports en industrie sont réalisés par la mise à disposition effective de la société de connaissances technique ou professionnelles ou des services. On entend par « mise à disposition effective » non par une exécution immédiate mais une exécution successive. L’alinéa 2 du même article prévoit que « les apports en industrie sont interdits dans les sociétés anonymes ». Cette conception restrictive de la notion d’apport en industrie constitue une faille considérable, ce, au regard des dispositions de l’Acte Uniforme OHADA.
Dès lors le régime juridique applicable au regard de l’acte uniforme OHADA constitue-t-il une sécurité juridique à la notion d’apport en industrie ? Quel sens devrait-on donner au mot industrie tel qu’il est entendu par l’Acte uniforme ? L’apport en industrie constitue-t-il un apport effectif ? Quelle place le législateur OHADA offre-t-il à la notion d’apport en industrie à la lumière des AUSCGIE ?
Par conséquent au sens des dispositions de l’acte Uniforme OHADA, comment s’appréhende la notion d’apport industrie, cette notion n’admet-elle pas un caractère restrictif voire limitatif ?
Par conséquent, cette étude justifie d’un intérêt particulier, elle nous offre l’occasion de mener une réflexion permettant de savoir si le droit économique conçu pour les pays de l’espace OHADA n’admet pas de lacunes ou d’irrégularités au sens de la notion d’apport en industrie. Il s’agira de ce fait, de procéder à un examen descriptif et analytique des règles applicable ; une telle démarche permettra, à terme de savoir si l’objectif du législateur OHADA a été atteint afin d’en tirer les leçons utiles[17].
A ce titre, elle justifie d’un intérêt tant scientifique que social. Considérant l’intérêt scientifique, notre étude pourrait être un apport de plus à la doctrine, permettant de s’enquérir suffisamment sur la question afin de s’en servir de référence pour corroborer ou élucider leurs écrits. Quant à l’intérêt social, notre étude pourrait impacter le monde sociétal des sociétés afin de veiller à une meilleure compréhension de leur régime juridique pour un rayonnement de leurs activités.
Dans le but de parvenir à une réflexion plus pointilleuse sur cette thématique de l’apport en industrie, il s’agira pour nous dans une première partie de mettre en avant la complexité de la notion d’apport en industrie (I), puis dans une seconde partie, mettre en avant la complexité du régime juridique de l’apport en industrie (II).
I- La complexité de la notion d’apport en industrie par le législateur OHADA.
L’article 4 de l’AUSCGIE fait obligation aux associés d’effectuer chacun un apport en société, il permet de déduire qu’aucune société ne peut fonctionner sans apport. Cependant à la lecture de l’AUSCGIE, on n’en déduire qu’en en qui concerne l’apport industrie, une rigidité demeure opposable dans certaines catégories de société notamment les sociétés Anonyme (A), puis, une difficulté d'énoncer quant à l’évaluation de l’apport en industrie (B).
A- Une prise en compte minimaliste de l’apport en industrie.
L’Acte uniforme relatif au Droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique connaît aujourd’hui une innovation relative à l'apport en industrie. Contrairement à l’ancien texte de 1997 où l’on pourrait relever un manque d’intérêt du législateur OHADA en ce qui concerne l’apport en industrie, celui-ci occupe maintenant une place particulière. L’apport en industrie bénéficiant d’une consécration légale.
Cela intervient en tout premier lieu avec l’article 4[18] de l’AUSCGIE qui dispose que « la société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une activité des biens en numéraire, en nature ou de l’industrie…. ». Une importance particulière est donc désormais portée sur l’apport en industrie.
En effet, celui-ci apparaît comme un élément essentiel dans la société. Les précisions de l’article 50-1 in fine donne d’affirmer l’élargissement sinon le recours à ce type d’apport dans plusieurs catégories de société. Notons que cet article prévoit que « les apports en industrie sont interdits dans les sociétés anonymes ». Cette interdiction ne passe pas sans susciter un questionnement.
La société anonyme (SA) est une société par action ou une société de capitaux tout comme la société par actions simplifiée (SAS).
Le constat est que l’on peut recourir à l’apport en industrie dans les SAS[19] mais l’interdiction est exclusive dans les SA. Doit-on aussi tôt affirmer que l’apport en industrie est vraisemblablement interdit dans les sociétés par action ? Nous répondons par la négation.
Supposons une société dirigée par ses fondateurs c’est-à-dire les apporteurs. On remarquera indiscutablement la mise en commun des connaissances, du talent ou du travail bref du savoir-faire de tous les associés. On dit dès lors que les fondateurs d’une société sont tous des apporteurs en industrie[20].
L’admission de l’apport en industrie dans les SAS serait-ce une dépréciation ou mise en valeur de celui-ci ? On pourrait ainsi croire en une sorte de valorisation de l’apport en industrie.
L’élargissement du champ de l’apport en industrie devient important.
Aussi, l’on se poserait la question de savoir, si une société commerciale peut exister sans apport en industrie. Notons que cette question demeure partagée par la jurisprudence et la doctrine.
En principe, si l’on s’en tient aux dispositions de l’article 4 de l’AUSCGIE, « La société commerciale est créée par deux (2) ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d’affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, ou de l’industrie, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter. Les associés s’engagent à contribuer aux pertes dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme ».
L’interprétation qui relève de cette disposition nous donne à comprendre que la société commerciale résulte de la constitution de plusieurs apports dont, les apports en numéraire, les apports en nature ou les apports en industrie.
Notons également que les auteurs pensent quasi-unanimement que la viabilité d’une société commerciale est conditionnée par l’existence d’au moins un apport en capital[21]. Cette nécessité est prouvée par la possibilité donnée aux associés de pouvoir créer une société en nom collectif (SNC), à partir d’un capital d’un franc[22].
Dans ce type de société en effet, la responsabilité solidaire et indéfinie qui pèse sur les associés est une garantie suffisante pour les créanciers de pouvoir rentrer en possession de leur dû.
Par conséquent, on aurait pu se passer d’apport en capital. Son montant qui est d’un franc a donc pour seule utilité de tenir lieu de symbole de cet apport.
Toutefois, la Cour de cassation française par la Cour d’appel de Nancy a reconnue l’existence possible d’une société ne comportant que des apports en industrie, en décidant respectivement que dans toutes sociétés où la mise en commun portait seulement sur l’industrie des associés, les bénéfices et les pertes doivent être répartis par part virile[23], et que dans pareille situation, le partage de bénéfices de la société sera toujours égal, quand bien même l’un des associés, appelé sous les drapeaux, aurait été empêché pendant plusieurs années d’apporter à la société le concours de son travail[24].
Il convient donc de s’intéresser au mode d’évaluation de l’apport en industrie tel que défini le droit OHADA.
B- Une critiquable évaluation de l’apport en industrie.
La notion d’évaluation de l’apport en industrie constitue un élément d’appréciation difficile, ce, au regard du caractère par lequel s’appréhende les différents contours de cet apport. En effet, « Faire un apport », c’est s’engager à mettre à disposition de la société, en vue de l’exercice des activités sociales en contrepartie de la reconnaissance d’un droit à une quote-part dans les bénéfices qui seront générés par les activités communes[25].
Notons qu’en ce qui concerne l’apport en industrie, nous constatons un caractère limitatif des droits dont celui-ci devrait disposer comparativement aux autres apporteurs.
En effet, notons que comparativement à l’apport en nature et en numéraire qui définissent un caractère matériel, l’apport en industrie se traduit par une certaine originalité, étant réalisé de façon continue et successive dans le déroulement des activités de la société commerciale.
L’originalité de l’évaluation de l’apport en industrie réside dans la particularité de ses caractères.
Toutefois, certaines dispositions légales prévues par l’AUSCGIE suscitent quelques interrogations, dont les articles 50-3 alinéa 2 de l’AUSCGIE qui énonce clairement que ; « les droits de vote attachés aux titres sociaux résultant d’apports en industrie ne peuvent être supérieurs à vingt-cinq pour cent (25%) de l’ensemble des droits de vote[26] ». Également, dans le même article 50-3, alinéa 3 énonce met en évidence que ; « la part totale attachée à ces titres sociaux ne peut excéder vingt-cinq (25%) des bénéfices, de l’actif net et des pertes de la société[27] ».
L’interprétation des dispositions susmentionnées révèle un caractère restrictif de l’apport en industrie, ce, contrairement aux autres apports au sein de la société. Nous relevons de cette disposition une limitation de l’apport en industrie quel qu’en soit le bénéfice de cet apport sur l’exploitation de l’activité de la société.
Or, considérant que dans certaines sociétés avec un objet social particulier reposant sur des connaissances spécifiques, la technicité pointeuse mis à disposition par l’apporteur en industrie pourrait permettre à la société d'accroître le rendement de ses activités, il apparaît bienséant que celui-ci puisse au prorata du bénéfice de son apport, être considéré au même titre que les autres apporteurs.
Cette situation traduit une certaine ‘’sous-évaluation légale’’ et un caractère limitatif de la notion d’apport en industrie. Force est de constater que le législateur OHADA à conférer un caractère restrictif à la notion d’apport en industrie.
Ce caractère restrictif s’apercevant au regard des dispositions susmentionnées, par la limitation du droit de vote et de la part sociale attachée à ces titres sociaux, contrairement aux autres apporteurs. Qu’en n’est-il du régime juridique consacré à l’apport en industrie ?
II- La complexité du régime juridique de l’apport en industrie
L’apport en industrie étant participatif à la constitution et à la réalisation de la société commerciale, notons que cet apport se traduit par une complexité dans la définition de son régime juridique. Cette complexité se traduit notamment par la compétence du commissaire aux apports (A) et par le renforcement de l’obligation de non-concurrence à l’égard de l’apporteur en industrie (B).
A- Un champ de compétence limitatif du commissaire aux apports
Au sens de la définition consacrée de la notion d’apport en industrie, définition retenue par les dispositions de l’article 50-1[28] alinéa 1, l’Acte Uniforme portant droit des sociétés commerciales et Groupement d’intérêts économique, « Les apports en industrie sont réalisés par la mise à disposition effective de la société de connaissances techniques ou professionnelles ou de services». Contrairement aux autres types d’apports, l’apport en industrie demeure caractérisé par un savoir-faire mis à disposition au moment de la constitution de la société, avant même l’accomplissement du premier acte dans le sens du travail visé[29].
Au regard de cette approche, une question fondamentale se pose, question relative à l’évaluation de la notion de connaissance technique ou professionnelle au moment de la constitution de la société commerciale. Dès lors, les procédés d’évaluations de l’apport en industrie sont-ils réellement efficaces ?
En vue de répondre à l’efficacité à une évaluation, l’AUSCGIE a défini la compétence d’un commissaire aux apports en vue de procéder à une évaluation, principe défini par les dispositions de l’article 4OO alinéa 1 et 2 ; « Les statuts doivent nécessairement contenir l’évaluation de chaque apport en nature et la description des avantages particuliers stipulés ainsi que, le cas échéant leur évaluation. La valeur des apports en nature et/ou les avantages particuliers doivent être contrôlés par un commissaire aux apports. ». Au regard de cette disposition légale, force est de constater que l’Acte Uniforme s’intéresse qu’à l’évaluation de l’apport en nature, l’apport en industrie ne pouvant faire l’objet de l’évaluation par le commissaire aux apports. En ce qui concerne l’appréciation de l’apport en industrie et la définition des modalités de sa libération, L’AUSCGIE au sens des dispositions de l’article 50-2 alinéa 2, reconnaît à cet effet, la possibilité aux statuts de la société de contenir « l’évaluation en industrie ».
Cette situation est à décrier, ce, au regard du caractère immatériel dont fait preuve l’apport en industrie. En effet l’apport en industrie résultant de ; « connaissances techniques ou professionnelles ou de services ». Ces connaissances devraient par leur caractère immatériel faire l’objet d’une évaluation crédible par un commissaire aux apports, un expert qui pourra y apporter son expertise. Cette mission consisterait à partir d’une analyse des facteurs tels le type de travail exigé, les conditions d’hygiène et de sécurité qui prévaudront lors de l’exécution du contrat, les risques encourus par l’apporteur. Il pourrait aussi prendre en compte les usages en la matière. A partir de ces éléments, il aboutirait à fixer une valeur qui satisferait les parties[30].
L’apport en industrie se traduisant dans ses contours par une difficile évaluation, notons qu’au regard des dispositions légales prévues, l’apporteur en industrie ne saurait se livrer à une volonté concurrentielle, une obligation de non-concurrence étant à sa charge pesante.
B- L’apport en industrie : un apport sujet à une obligation de non-concurrence renforcée
La libération des apports confère effectivement la qualité d’associé à son souscripteur. Ces associés sont soumis à des obligations diverses, nous ne retiendrons que l’obligation de non-concurrence. Les apporteurs en numéraire, en nature et en industrie sont soumis à une obligation de non-concurrence[31]. L’obligation de non-concurrence est directement liée à la qualité d’associé. Entendons par obligation de non-concurrence l’interdiction pour un associé de faire un apport en numéraire ou en nature ou de fournir son savoir-faire dans une société concurrente. Certes il pèse sur tous les apporteurs cette obligation de non-concurrence mais celle-ci est plus renforcée lorsque cela concerne l’apporteur en industrie. L’idée est que celui qui fournit son savoir-faire tend à être assimilé au salarié mais la distinction a déjà été apportée. L’absence du lien de subordination et le droit aux bénéfices réalisés par la société de l’apporteur en industrie fait le différencie nettement du salarié.
Une personne peut être soumise à une obligation voire une obligation de plein droit s’il y a un texte qui le prévoit.
En réalité, il n’y a pas de texte ou de dispositifs soumettant l’apporteur en industrie à une obligation de non-concurrence. Nous pouvons ainsi dire que dans un souci de sécurité juridique il serait impérieux d’établir, au-delà des clauses statutaires[32], un dispositif légal sur l’obligation de non concurrence des associés. « L’exécution de bonne foi[33] » énoncée par le Code civil français en son article 1134 alinéa 3 semble être un élément essentiel. Celui qui apporte son industrie, son savoir-faire ne peut en de bonne foi porter préjudice à l’intérêt commun des associés. La clause de non-concurrence dans le contrat de société ou le pacte d’associé répond essentiellement à la préoccupation des associés de protéger la valeur de l’investissement fait dans la société, de la libre concurrence dont peut en principe bénéficier chacun des associés[34]. Cette obligation a en effet une origine jurisprudentielle[35]. En se livrant à une activité concurrente à celle de la société, l’apporteur cause un préjudice à la société.
CONCLUSION
Parvenu au terme de cette réflexion, une question demeure importante celle de savoir si l’apport en industrie n’est pas qu’une vaine institution dans le droit OHADA. Quoique légalement consacré l’on pourrait s’en méfier. La pratique pourrait en effet justifier un non-recours à ce type apport. Son régime juridique complexe dans sa définition motiverait même son éloignement dans une société.
La conclusion d’un contrat de travail paraît plus bénéfique. L’apporteur en industrie qui a droit aux bénéfices de la société serait donc moins important. Ce qui devrait être autrement. Le recours à l’apport en industrie semble être un avantage pour des personnes non nanties de ressources financières mais nanties en aptitude.
Le législateur OHADA devrait donc se pencher sur une grande valorisation de cet apport à l’image du droit français qui reconnaît même l’influence comme un apport en industrie.
[1] Revue d’information juridique du cabinet d’avocats JURIFIS CONSULT, 4e numéro – juillet/août 2009
[2] OHADA, Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, https://www.ohada.org/index.php/fr/ohada-en-bref/presentation-ohada-historique(Consulté le 19 Novembre 2020, 11h 50)
[3] Cf. Citation du regretté juge Kéba Mbaye.
[4] L’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) est une organisation ayant pour but d’harmoniser les règles relatives au droit des affaires dans plusieurs Etats de l’Afrique. Cette organisation résulte d’un Traité appelé donc le Traité de l’OHADA. Ce traité a été signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice) et entré en vigueur le 18 septembre 1995. Actuellement, l’OHADA regroupe 17 Etats Parties : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée Equatoriale, Guinée Bissau, Guinée Conakry, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, République Démocratique du Congo. Le Traité de l’OHADA a été révisé le 17 octobre 2008 à Québec. La Côte d’Ivoire a ratifié le Traité OHADA par décret n° 95-674 du 7 septembre 1995, JORCI n° 52 du 9 décembre 1997, p. 13.
[5] Acte Uniforme OHADA portant Droit des sociétés commerciales et Groupement d’Intérêt Économique (GIE).
[6] Résumé actes uniformes OHADA
[7] Code civil français, Article 1832
[8] Abdoulaye FALL, La problématique des apports en industrie en droit OHADA
[9] Article 37 de l’AUSCGIE
[10] CA, Niamey, arrêt n° 240 du 8 décembre 2000
[11] Article 40 de l’AUSCGIE
[12] Article 40-1 de l’AUSCGIE
[13] Article 45 et 46 de l’AUSCGIE
[14] Philippe Merle, Droit commercial, Sociétés Commerciales, 22e édition 2018/2019, p.86
[15] Abel BILLONG BILLONG, « L’apport en industrie en droit OHADA : une nouvelle approche », Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires-Pratique professionnelle, N°4-Septembre 2014, Doctrine.
[16] Article 50-1 de l’AUSCGIE
[17] N'GBANDAMA-KOFFI Ahou Prisca Désirée. L’administration des sociétés de capitaux en droit OHADA, Mémoire, Master « Recherche droit privé fondamental » Université Catholique d’Afrique de l’Ouest UCAO.
[18] Article 4 de l’AUSCGIE
[19] Article 853-5 de l’AUSCGIE
[20] Denis Roger SOH FOGNO et Charles TALLA, « L’apport en industrie en droit des sociétés commerciales de l’OHADA : Réflexion sur un vide juridique », publié aux Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l’Université de Dschang, T. 13, 2009, pp. 199-226.
[21] L’apport en capital est celui qui est pris en compte pour la constitution du capital social (apport en nature et apport en numéraire). Il s’oppose justement à l’apport en industrie. Cité par Par Denis Roger SOH FOGNO, et Charles TALLA, « L’APPORT EN INDUSTRIE EN DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES DE L’OHADA : Réflexion sur un vide juridique », publié aux Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l’Université de Dschang, T. 13, 2009, pp. 199-226.
[22] L’apport en capital est celui qui est pris en compte pour la constitution du capital social (apport en nature et apport en numéraire). Il s’oppose justement à l’apport en industrie. Cité par Par Denis Roger SOH FOGNO, et Charles TALLA, « L’APPORT EN INDUSTRIE EN DROIT DES SOCIÉTÉS COMMERCIALES DE L’OHADA : Réflexion sur un vide juridique », publié aux Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l’Université de Dschang, T. 13, 2009, pp. 199-226.
[23] Cass. req., 16 nov. 1886, S. 1888, I, p. 423, cité par TOZWEN TEUNKWA (R.F.) : Le principe d’égalité en droit des sociétés OHADA, Mémoire de DEA, Université de Dschang, octobre 2004, p. 75.
[24] Nancy, 14 mars 1868, S. 1869, II, p. 214, cité par TOZWEN TEUNKWA (R.F.), Mémoire de DEA op. cit., p. 75.
[25] Abdoulaye FALL, « La problématique des apports en industrie.», Ohada D-18-08.
[26] Article 50-3 AUSCGIE al 2
[27] Article 50-3 AUSCGIE al 3
[28] Article 50-1 de l’AUSCGIE
[29] Denis Roger SOH FOGNO et Charles TALLA, « L’APPORT EN INDUSTRIE EN DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES DE L’OHADA : Réflexion sur un vide juridique.», Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l’Université de Dschang, T. 13, 2009, pp. 199-226.
[30] Denis Roger SOH FOGNO et Charles TALLA, « L’apport en industrie en droit des sociétés commerciales de l’OHADA : Réflexion sur un vide juridique.», Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l’Université de Dschang, T. 13, 2009, pp. 199-226.
[31] Maurice Cozian, Alain Viandier, Florence Deboissy, “ Droit des sociétés” LITEC 21e édition, p. 58
[32] Stéphane MICHEL, « les apports en industries aux SAS : un régime juridique à sécuriser impérativement dans les statuts », Village de la justice, juillet 2010
[33] Article 1134 du Code civil de 1804
[34] https://www.goole.com/amp/s/www.legalplace.fr/guides/clause-non-concurrence-pacte-associes/amp/
BIBLIOGRAPHIE
● Ouvrages généraux
- Merle Philippe, Droit commercial, Sociétés Commerciales, 22e édition 2018/2019, p.86
- VIANDIER Maurice Cozian, DEBOISSY Alain Florence, DROITS DES SOCIÉTÉS, LITEC 21e édition, p. 58
● Ouvrages Spéciaux
● Articles Scientifiques
- FALL Abdoulaye, La problématique des apports en industrie en droit OHADA
- BILLONG Billong Abel, « L’apport en industrie en droit OHADA : une nouvelle approche », Revue de l’ERSUMA : Droit des affaires-Pratique professionnelle, N°4-Septembre 2014, Doctrine.
- FONGNO SOH Roger Denis et TALLA Charles, « L’apport en industrie en droit des sociétés commerciales de l’OHADA : Réflexion sur un vide juridique », publié aux Annales de la Faculté des Sciences Juridique et Politiques de l’Université de Dschang, T. 13, 2009, pp. 199-226
- Stéphane MICHEL, « les apports en industries aux SAS : un régime juridique à sécuriser impérativement dans les statuts », Village de la justice, juillet 2010
- Revue d’information juridique du cabinet d’avocats JURIFIS CONSULT, 4e numéro – juillet/août 2009
- Réflexions sur la modification du concordat préventif en Droit OHADA
● Mémoire et Thèse
- Mémoire, Master « Recherche droit privé fondamental » Université Catholique d’Afrique de l’Ouest UCAO : L’ADMINISTRATION DES SOCIÉTÉS DE CAPITAUX EN DROIT OHADA, Par N'GBANDAMA-KOFFI Ahou Prisca Désirée.
● Textes
- Acte Uniforme OHADA portant Droit des sociétés commerciales et groupements d’intérêts économiques (GIE),
- Code civil de 1804
● Webographie
- Éditions de l'OCDE | « Revue de l'OCDE sur le développement » 2004/2 no 5 | pages 37 à 46 ISSN 1992-0490 ; https://www.cairn.info/revue-de-l-ocde-sur-le-developpement-2004-2-page-37.htm (Consulté le 11 Mars 2022)
- OHADA, Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, https://www.ohada.org/index.php/fr/ohada-en-bref/presentation-ohada-historique(Consulté le 11 Mars 2022)